Lu Vu Entendu de février 2005











Après la pénurie des sorties de nouveautés culturelles de début janvier, inversement proportionnelle aux choix pléthoriques de la période de Noël, les affaires reprennent avec cette petite sélection personnelle. À consommer sans modération.

Vu :
Le film Bukowski de John Dullaghan **



Adolescent j'avais lu les Contes de la folie ordinaire et je n'avais pas du tout aimé. Trop trash, malgré une plume alerte, trop plein de misère, de sexe sale et d'alcool pour le jeune idéaliste que j'étais. Je préférais le style plus fantasmatique de William Burroughs, tout aussi désespérant, mais plus élégant. La réussite du réalisateur John Dullaghan est d'avoir conçu ce film documentaire en montront autre chose que le côté scandaleux de la vie de Bukowski. On découvre ici un écrivain, certes alcoolique et un peu psychopathe, mais avec la vulnérabilité attachante des grands tourmentés de la vie. Le découpage du film est très bien fait et ne tombe jamais dans une hagiographie complaisante, même avec les témoignages de quelques célébrités, Sean Penn ou Tom Waits, qui furent ses amis. J'ai adoré la séquence d'archive où Bukowski explique comment il écrit grâce à sa machine à écrire Remington, en martelant du poing le malheureux objet avec cette phrase révélatrice : "l'acte de création se fait sur cette putain de machine ! bong ! tout se passe ici ! bong, bong !". Ladite machine à écrire profitera sans doute des nombreux allers et retours au prêteur du coin pour se refaire une santé, car Hank (surnom donné par ses proches) n'hésitait pas une seconde, en cas de souci pécuniaire, à gager son outil de travail afin de pouvoir acheter de l'alcool. Curieusement, malgré la noirceur de narration de ce documentaire, on ressort comme apaisé de la salle de cinéma avec une vision moins négative de ce drôle d'écrivain éthylique. Bon film, très intéressant, mais évitez d'emmener votre vieille grand-mère à la séance de 20 heures, le personnage risque de la rebuter quelque peu ! ;-D

Lu :
Auteurs T.Benoît & F. Ayrolles / Playback **



L'idée est séduisante dès son énoncé : illustrer à quatre mains un scénario de Raymond Chandler, qui fut refusé en son temps par Hollywood. Dommage pour la postérité, mais Chandler, écrivain prolixe d'excellents romans policiers, se rattrapera avec l'adaptation de son roman, Le Grand Sommeil, en un film éponyme devenu légendaire avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.
Playback est un sympathique opuscule fort intéressant à lire et à regarder ! On y découvre les travers et la noirceur des âmes avec la loupe d'une enquête qui passe d'un gigolo arriviste (pléonasme ?) à une jeune fille perdue dans les abîmes d'une vie passée effrayante, en passant par un riche oisif concupiscent et quelques maîtres-chanteurs inflexibles. Ted Benoît et Francois Ayroles, tous deux dessinateurs confirmés, ont réussi à retranscrire, avec brio, dans ces illustrations, le monde si particulier des oeuvres de Chandler et rien que pour ça, cette BD mérite d'être lue !

Entendu :
Chanteur Devendra Banhart / Rejoicing in the Hands ***



On pourrait s'attendre en écoutant la musique de ce chanteur de 23 ans, sorti de nulle part et déjà célèbre, à ce qu'il soit originaire d'un bled perdu dans le Middle West. Guitare sèche minimaliste, beau timbre de voix claire et un peu traînante, ce type est pourtant un New-Yorkais pur jus, passé maître dans l'art délicat de jouer des ballades folks psychédéliques. Suivant les titres, le climat oscille d'ambiance sereine tel que le lumineux "This is the Way" ou le superbe "Rejoicing In the Hands" (avec la voix de Bianca des CocoRosie) à des atmosphères plus inquiètantes comme "Poughkeepsie" ou "When the Sun Shone On Vetiver". Devendra Banhart est bien dans l'air du temps de ces artistes américains, résolument en dehors des normes commerciales des grandes majors. On sent chez ce musicien le plaisir de jouer son lofi folk d'abord pour lui même et ses potes, sans avoir besoin de rajouter des effets de son conseillé par un producteur qui penserait qu’ainsi l'album passerait mieux en radio FM. Et ça, c'est très nouveau comme attitude chez beaucoup de musiciens actuels ! Alors la fin du formatage et des robinets musicaux comme NRJ et autres daubes ? Ou seulement l'acceptation qu'un public grandissant cherche de la musique "roots" et authentique ? La réponse doit être quelque part entre les deux interrogations...


Lun. - Janvier 31, 2005          



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