Lu Vu Entendu 18 juillet 2005







En parcourant les articles de cette rubrique, non pas dans l'éventualité d'un best of, au choix de toute façon trop réducteur, mais pour prendre du recul, mes soupçons de polymorphie culturelle se sont trouvés confirmés. Grand écart permanent entre des films, des livres et des sons le plus souvent américains, anglais ou français, mais pas uniquement. À cheval entre des mondes, j'ai parfois un peu de mal avec la frileuse exception culturelle hexagonale. Non pas pour se draper dans un cosmopolisme de bon ton et un peu vain, mais tout simplement pour l'intérêt ou la beauté des choses découvertes et modestement à faire connaître. Une sorte de prosélytisme de pacotille, peut-être illusoire, sûrement subjectif mais jamais sans passion. Allez en route pour ce treizième Lu Vu Entendu et inutile de vous inquiéter du chiffre je caresse régulièrement des chats noirs en passant sous des échelles, sans soucis. Profitez bien de l'été et de tous ces moments d'extase à bronzer idiot en mangeant des glaces au sable !

Vu :
Charlie et la chocolaterie de Tim Burton ***


Adaptation réussie du roman à succès, édité en 1964, "Charlie and the Chocolate Factory" de l'écrivain britannique Roald Dahl (qui a sorti aussi en 1943 le livre Les Gremlins dont s'inspirera Joe Dante quarante ans plus tard), Tim Burton, inventif et délirant comme toujours, réalise ici un douzième film aussi intéressant et poétique que son "Edward aux mains d'argent". À travers l'extravagance visuelle réussie de ce conte de fées baignant dans les sucreries, les péripéties des personnages sont assorties d'une observation de la tyrannie de certains enfants-rois d'aujourd'hui. On retrouve aussi ici les obsessions récurrentes du réalisateur sur la difficulté des relations avec le père et l'inadaptation aux règles, jugées perverses, de la société.
Allez voir cette histoire enchantée, mais au ton si juste, où Charlie, un petit garçon de condition modeste mais très sage (le jeune acteur Freddie Highmore), s'interroge sur l'étrange usine de chocolat, qui alimente de folles rumeurs, à proximité de chez lui. Découvrez Willy Wonka, le patron excentrique et névropathe de la fabrique, campé par un Johnny Deep, à l'allure androgyne et aux incroyables mimiques. Émerveillez-vous des Oompas-Loompas, petites bestioles sympathiques et artisans du bonbon inusable. Riez de la mésaventure de la jeune Veruca la tête à claques, alias Julie Winter, évacuée par un vide-ordures immense en raison d'un caprice de gosse de riche. Parmi toutes ces cascades de cacao et ces fleurs de confiserie colorée, les pérégrinations de cinq enfants, lauréats des tickets d'or trouvés dans les barres de chocolat Wonka, aux prises avec l'univers déjanté, onirique et plein d'humour du roi de la friandise. Du grand Burton, servi par des prouesses visuelles impeccables, avec un assortiment de quelques clins d'oeil irrévérencieux à Stanley Kubrick, Michael Jackson et Esther William et des réflexions bien senties sur l'éducation des enfants...


Lu :
Floc'h et Rivière / Olivia Sturgess **


Quatrième volet de la série Albany, Floc'h, dessinateur émule de la ligne claire et François Rivière, scénariste passionné de littérature anglo-saxonne, ont pris le temps d'élaborer ce nouvel opuscule, l'avant dernier intitulé "Le rendez-vous de Sevenooks" datant de 1985 ! Ne pas avoir lu les précédents ouvrages d'Albany n'est pas un handicap par le trait précis et la manière originale des auteurs de mélanger fiction et réalité. La vie et la carrière de l'héroïne, la défunte Olivier Sturgess, romancière pleine d'interrogations et de mystères, dévoilée à travers un prétendu documentaire télévisé, tel un reportage dessiné aux multiples témoignages. Parmi des personnages fictifs, on croise, entre autres célébrités, les plasticiens Gilbert et George relatant le détail de la rencontre, Noel Coward le dramaturge et l'actrice Charlotte Rampling lisant des passages des oeuvres de l'écrivaine ! Au fil des pages à l'esthétique un peu guindée, on finit par se demander si Olivia Sturgess et son vieux complice le journaliste Sir Francis Albany ont vraiment existé, au vu de la minutie des faits relatés. Drôle d'atmosphère un peu distante, suggérée par les auteurs, et pirouette finale troublante avec une collection d'objets personnels et un catalogue raisonné de photos des deux protagonistes, immortalisé par Cecil Beaton et quelques autres que je vous laisserais découvrir... Espérons que Floc'h, entre ses illustrations pour le New Yorker ou des affiches de films et Rivière, rédacteur à Libération et d'ouvrages de référence, ne mettront pas dix ans pour nous proposer un nouvelle histoire, même si celle-ci est fameuse avec son subtil scénario à tiroirs.


Entendu :
LCD Soundsystem / LCD Soundsystem ***


Facétie demie convaincante de James Murphy, leader de ce groupe et boss du label DFA, d'appeler ce double album du même nom que sa formation. Ce qui n'enlève rien à l'intérêt de ces deux disques dont le deuxième est une compilation de titres sortis en singles comme "Losing My Edge", datant de 2002. Issu de la mouvance punk, Murphy le provocateur, a élargi ses horizons musicaux en incorporant dans son rock brut des rythmes electro ou de funk abrasif. LCD Soundsystem est un savant mélange hors normes, fruit d'écoutes prolongées de Pink Floyd, Can et Brian Eno pour les climats et des ambiances nettement plus corrosives du Velvet Underground ou de Suicide. Toutes ces influences si disparates donnent un son très particulier, paradoxalement unique, aux chansons de ce new-yorkais audacieux; de l'excellent groove de "Too Much Love" à un insidieux "On Repeat" en passant par le très hypnotique et curieux "Great Release". Musique de l'âme et des dance floors qui vous épargnera de devoir choisir entre des styles parfois antagonistes. Allez ! Je me remets l'entêtant "Losing My Edge" encore une fois !


Lun. - Juillet 18, 2005          



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