Vacances d'été
En
retrouvant, dans le grenier de mes parents, l'indispensable boîte à
chaussures remplie de diapositives de mon enfance, mille et un souvenirs en sont
sortis. Ceux des jours tranquilles surtout, car on garde principalement les
images des moments heureux. Rythmé par le carrousel magique de la
visionneuse, séquence nostalgie sur le temps qui passe et l'attente
fébrile à chaque mois de juin des grandes vacances pleines de
promesses où il suffisait d'ôter le le c de scolaire pour que les
ballades et les jeux de l'été deviennent
solaires.
À partir de l'âge de six
ans, dans cette nouvelle ère du mitterandisme alors triomphant, mes
parents, bourges de gauche perpétuellement fauchés, nous confiaient
pour deux longs mois d'éternité, d'abord en juillet à notre tante
Clara au Bourget, puis pour la plus délicieuse deuxième partie
estivale, chez papy Pierre et mamie Jeanne, habitant dans le décor
fantastique de la zone portuaire de La Pallice jouxtant La Rochelle. Pour les
petits Parisiens que nous étions devenus, ma soeur et moi, par la force
d'une mutation paternelle à la capitale, le mois d'août charentais
était celui de la félicité, avec la pêche aux crabes, les
ballades en vélo sur les chemins verdoyants de l'Aunis et l'arrivée
d'abord sonore des cargos le long des docks. Je me souviens durant
l'été 85 de la rencontre avec un marin ukrainien, sorte de colosse au
français très approximatif, qui venait régulièrement, durant
une escale prolongée par une avarie de gouvernail, à la librairie
familiale pour tenter de commander un hypothétique dictionnaire
français ukrainien. Malgré une stature imposante et une allure de
brute aux mains rugueuses, le type nous avait à la bonne en nous gavant
généreusement de bonbons et de glaces aux fruits. Un lendemain d'une
soirée arrosée dans un bar, il avait montré à mes
grands-parents avec beaucoup d'émotion une photographie de ses deux
enfants pas vus depuis les six derniers mois de son périple maritime.
Alekseï, quand il n'essayait pas de fourguer du caviar frelaté ou de
tromper son ennui dans des bars malfamés, nous confectionnait des figurines
délicates avec de fins cordages, ponctuant sa fabrication d'un rire immense
et caverneux. Je me souviens aussi des devoirs de vacances, prodiguée par
mon institutrice de grand-mère, patiente et compréhensive, qui a su me
rendre intéressante une grammaire rebutante ce dont d'autres
pédagogues pourtant appliqués n'avaient pas su me convaincre. La
fraîcheur du patio au sortir de la somnolence des après-midi au soleil
de plomb, l'atelier de Papy, imprimant sur une ronéo à l'alcool des
textes de Bakounine que je n'avais pas le droit de lire, les tartes aux pommes
cannelle de la voisine, les incursions, pourtant interdites, dans les
entrepôts désaffectés près du môle d'escale. Toutes ces
années d'été, bien loin du parc des Buttes Chaumont, qui à
la rentrée me paraissait si superficiel et étriqué. Tous ces
moments délicieux à courir avec d'autres enfants infatigables sur les
plages de l'île de Ré ou de Chef de Baie, l'innocence juvénile du
premier serment amoureux dans le repli d'une
dune.
La vie a
passé en une monstrueuse course inexorable, et vingt ans plus tard, en
parcourant le boulevard de la Soif maintenant si calme, certains soirs, il me
semble entendre dans le murmure d'un temps fantomatique et révolu, les
éclats de rire du manège du port et les voix tonitruantes du
marché aux poissons. C'est rien, ça va passer, c'est juste la
nostalgie des jours heureux, bercée par l'insouciance de ne pas grandir
trop vite.