Découverte







Ce matin, après une longue nuit à me péter gravement la tronche avec mes potes finir la maquette urgentissime d'une commande de dernière minute, je suis allé sur la plage de la Concurrence qui jouxte les parcs, pour profiter de l'air frais et iodé du matin et de la quiétude provisoire de l'endroit, non encore envahi par (dans l'ordre d'apparition à l'écran), des joggers frénétiques, des vieux promenant leur chien, ou bien l'inverse et de quelques baby-sitters distraites avec de jeunes enfants mangeurs de coquillages.

Rien n'est plus agréable que de marcher sur le sable encore humide et lissé par la dernière marée, mais je ne savais pas que ma vie allait basculer, avec la découverte, quelques mètres plus loin, parmi des bois flottants, de cette chose-là. C'était la première fois que je voyais un objet de cette espèce, croisement habile entre ce qui fut une chaussure et un habitacle marin pour crustacés audacieux. En observant l'hybride, judicieusement colonisé par des algues vertes de camouflage du plus bel effet, plusieurs hypothèses successives me traversèrent l'esprit. Avait-on enfin la preuve de l'existence, jusqu'à maintenant controversée, des mythiques hommes de l'Atlantide sortant de l'océan nuitamment pour reconquérir la surface terrestre ? Était-ce l'oubli malencontreux d'un savant fou de l'Ifremer, cherchant à créer un équipement aquatique afin de capturer des variétés, non encore répertoriées, de pieuvres géantes, dont on supputait l'existence dans les grands fonds marins ? À moins que ça ne soit la trace d'un rituel vaudou d'une secte bloggienne dont la grande prêtresse officiait, plus ou moins discrètement, grâce à la couverture d'un site arborant une famille de canards en plastique jaune ?
Hésitant entre ces différentes possibilités et soucieux de faire partager cette information qui allait, sans doute, changer le cours de l'histoire, je me précipitai sur l'unique cabine téléphonique à proximité, pour avertir, dans l'instant, diverses autorités locales. Après avoir communiquer la teneur de ma découverte à la Capitainerie du port, aux Affaires Maritimes et dans un souci citoyen à la Mairie, je regrettais cependant, en raccrochant le combiné, mon imprécision des détails fournis sur les causes probables de cette apparition matinale. Sans doute une remontée d'ecstasy l'émotion de cette situation exaltante n'avait peut-être pas favorisé une bonne compréhension de mes propos par mes interlocuteurs, mais bon, étant juste un amateur éclairé de théories scientifiques, j'attendais avec une certaine impatience, ma précieuse trouvaille sous le bras, l'arrivée d'un responsable, comme me l'avait confirmé d'un ton qui m'avait semblé un peu las, une standardiste hésitante du service de la voirie.

Alors qu'une odeur puissante commençait à se diffuser de l'objet découvert, l'arrivée d'une ambulance et de deux solides gaillards en blouse blanche, se dirigeant d'un pas mesuré mais alerte vers moi, me fit comprendre, dans un éclair de lucidité, la terrible vérité : la cabine téléphonique étant sur écoute, des sbires d'une puissance intergalactique secrète, habilement déguisés en personnel médical, voulaient s'emparer de ce talisman magique ! Dans un acte héroïque démesuré, je m'enfuyais précipitamment alors, en ingurgitant le mieux que je pus la sandalette compromettante... Par un sortilège inconnu, je me réveillai, dans un grand flou cotonneux, sur un lit du centre antipoison, où une infirmière (espionne ?), au ton doucereux et trop appliqué, m'expliqua que j'avais eu beaucoup de chance de survivre à l'ingestion d'un produit aussi toxique.

Le grand complot continuait, comme la fois où au sortir d'une rave party endiablée, j'avais trouvé un passage secret spatio-temporel, dissimulé discrètement derrière un anodin distributeur de boissons de la gare. Arriverais je un jour à sauver l'humanité de tous ces périls insidieux ?


Mar. - Mai 24, 2005          



©