Fashion victim
Hier
matin, enfin vers 12 H, en contemplant l'état de mon vieux jeans, qui avait
mal survécu à la fin de soirée dantesque de la veille, comprendre
les descentes répétées en carton d'emballage de la rue du Port,
unique pente intéressante de la ville, je me suis dis que l'achat d'un
nouveau pantalon ne serait pas du luxe et j'ai eu tort ! Autant l'achat d'une
paire de chaussures ou d'un bô T-shirt ne me rebute absolument pas, autant
avoir à faire des essayages de vêtements est un calvaire sans nom avec
son cortège de cabines exiguës et de déshabillages/rhabillages
incessants.
Surprise, moi qui ne mets les
pieds dans des boutiques de fringues que tous les 6 mois, cet été, le
jeans se porterait forcément délavé, voir troué de
façon plus ou moins artistique et je me suis demandé si je n'aurais
pas dû proposer le mien, tout patché et avec ses innombrables marques
d'usures naturelles. Au cinquième magasin, lassé de la perspective
d'avoir à payer au prix du neuf de savants assemblages de serpillières
bleutées, je décide de faire une petite pause au salon de thé de
la rue Dupaty, la tête pleine d'hésitations entre un Deplay
famélique et un Riesel hors de prix. Et là, sur le chemin, en passant
devant une vitrine top-tendance-que-ton-porte-monnaie-y-va-s'en-souvenir, The
jeans, en beau coton brut foncé comme je l'ai aime, au prix magique de 80
€ ! Un peu étonné de la modicité de l'article, dans ce
temple pour gravures de mode frénétiques, j'imagine alors une
bienheureuse erreur d'étiquetage, comme dernièrement, où
j'étais ressorti d'un magasin d'informatique avec un hub USB 2.0 pour le
montant d'une prise électrique... Je rentre donc, décor post atomique
chiadé de panneaux d'acier vieilli, carrelage finement ciselé et
sourire enjôleur d'une vendeuse, genre bienvenue mon pigeon doré...
J'enfile le jeans dans une cabine grande comme un salon avec de la moquette vert
gazon et là, alléluia, le futal, un Garithé & François
Miraudt, me tombe impeccable, sans même besoin d'une retouche sur la
longueur. Une pure merveille ! Ce qu'acquiesce rapidement la tenancière des
lieux, en rajoutant d'une petite voix ingénue : "en plus c'est le seul dans
votre taille et il vous va si bien". Trop content d'achever ce périple
vestimentaire par un achat que je croyais raisonnable, au moment où je sors
du salon d'essayage, la porte du magasin s'ouvre pour laisser apparaître
une beauté fatale, les bras encombrés de nombreux paquets. Visiblement
anglaise, blonde au teint diaphane avec des yeux turquoises bouleversants, la
belle profitait de son escale rochelaise pour se resaper pour les dix prochaines
années, style je me faisais chier à Londres alors je suis venu faire
flamber l'Amex de papa... Pendant que je tendais, de façon la plus
désinvolte possible, ma carte bleue de modeste graphique, subjugué
[mode gros niais on] par le sabir franglais de la fille: oh ton jeans, it's so
cute. Troublé par sa voix cristalline j'avais compris que c'était moi
qui était so cute et je m'imaginais déjà conclure un nouveau
traité d'Entente Cordiale, mais en nettement plus torride qu'en 1904 ! En
fait de turpitudes franco-britanniques, la voix de Xiao, derrière moi, me
rappela que ça allait plutôt être supplices chinois en
Mandchourie. Ma moitié, m'ayant aperçu par hasard au travers de la
vitrine, avec un regard sadique et désapprobateur, me susurra : "alors alt
on fait le malin en achetant un benouze à 180 €, c'est pour
impressionner la pouffe british ? Et t'es même pas sûr de la sauter
!". Avant que la situation ne se transforme en remake de Trafalgar et guerre du
Tonkin réunis, devant l'Anglaise et la vendeuse médusées,
j'emmenais une Xiao irritée, récupérant prestement ma CB et le
vêtement
convoité.
En lisant le
ticket de caisse, où figurait bien le prix de 180 €, et en comparant
avec le petit carton indicateur de la vitrine je m'aperçus, trop tard, que
j'avais confondu les prix entre un T-Shirt et l'objet
incriminé.
C'est
décidé, à partir de maintenant fini les glissades aventureuses
sur des skates improvisés, terminé les marques de stabilo, exit les
essuyages intempestifs. Il est tellement bien ce jeans que je vais
peut-être le mettre sous verre et manger des pâtes en le contemplant.
"Allo la galerie d'art ça ne vous dirait pas un happening avec un pantalon,
des spaghettis et un distrait" ?