Mâle de tête









Par un petit matin calme et pourtant serein, monsieur mannequin avait perdu la tête, sans qu'il puisse se souvenir de la raison de cette disparition soudaine. Parfois, il se postait à la fenêtre en espérant que cette tête fugitive saurait reconnaître, en passant dans cette rue étrange, son beau corps de plastique visible dans une ouverture de l'étage.

Mais au fait, à quel moment s'était-il retrouvé décapité ? Était-ce dans l'escalier qui mène au niveau supérieur, à cause d'une manipulation hasardeuse d'un de ses propriétaires, distrait et malhabile ? Le ciboulot, en roulant en bas des marches, aurait profité de l'ouverture de la grande porte d'entrée pour aller satisfaire sa curiosité malicieuse du monde extérieur, qu'il ne voyait habituellement que du derrière de la vitrine. Monsieur mannequin était modèle dans une boutique de mode masculine depuis fort longtemps et, toujours apprêté avec élégance, il aimait les tissus délicats des vêtements chics dont on l'habillait. Immobile et discret, en des postures étudiées, il pouvait se comparer, lui et sa morphologie parfaite, avec des clients humains qui s'inquiétaient parfois d'un embonpoint naissant qui brisait la coupe cintrée d'une chemise à motifs.

Hélas, à cause de cette perte capitale, on l'avait relégué à la fenêtre d'une pièce en hauteur, juste vêtu d'un maillot de bain, offert à demi nu aux regards amusés de quelque piéton concupiscent, bien loin des propos feutrés et aimables du magasin où il trônait habituellement, avec prestance, sur une estrade en bois cérusé à l'éclairage étudié. Monsieur mannequin, devenu homme-tronc par intérim pour tenues de plage, supporterait-il avec patience et abnégation cette disparition cervicale ?


Jeu. - Juillet 14, 2005          



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