Grand large







Il y a peu de chance que vous ne voyez jamais ce genre de parc d'attractions à l'endroit où je séjourne et c'est tant mieux ! Ce genre d'implantation à but récréatif est courante dans certaines villes portuaires et touristiques du sud de l'Angleterre. Il y a quelques années, lors d'un voyage aux États-Unis j'en avais visité un, légendaire et un peu vétuste, à Cosney Island, l'autre extrémité de New York City.

Ici, sur l'île d'Aix, l'ambiance est beaucoup plus sereine sur ces quelques kilomètres carrés préservés, où seuls trois véhicules sont autorisés à circuler, et ce, sans dépasser les 30 km/h. Le silence, je devrais dire l'absence de bruits de moteurs, est d'ailleurs impressionnant et un peu déroutant au début. En dessinant avec mon carnet de croquis au bord des chemins, seul le passage de vélos tirant de drôles de charrettes archaïques arrive à me sortir de mon application à noircir des feuilles blanches de belles perspectives escarpées. L'île appartient aux insulaires, moins de deux cents personnes le soir, et ils doivent la partager la journée au gré des rotations de bateaux déversant des cargaisons de touristes indolents. Ne pas rater la dernière liaison du soir avec le continent, sous peine de dormir à la belle étoile jusqu'au lendemain, si l'unique hôtel existant, le Napoléon, est complet !

Je profite du calme majestueux de ce début juin, avant que les hordes de vacanciers pressés ne viennent jouer ici à une sorte de parc d'attractions comportementales. Oui messieurs dames, l'été nous disposons de quelques spécimens redoutables d'estivants. Gros Popaul, ce conquérant redoutable, et sa petite famille, l'obsédé d'authenticité, persuadé de faire de l'ethnologie maritime, les amoureux de l'été et leur romance éphémère, des Parisiens rigolards qui n'en reviennent pas qu'un tel lieu puisse exister. Toute cette population temporaire s'agite, arpente, visite en une vaste farandole anarchique, sous le regard impavide de famille de marins, reconvertis dans le commerce juteux des perspectives de falaises et de criques à l'eau bleu clair, assorti d'assiettes de poissons maintenant péchés souvent bien loin des côtes charentaises...

En attendant, je lézarde sur les marches de la citadelle, je discute avec des gens encore disponibles, je parfais l'art consommé du rien attentif. Le bonheur tranquille à quelques encablures du continent, avec le vent qui tourne tout seul, quand je lâche l'index tenant le papier, les pages du Moby Dick de Herman Melville. La légende locale dit que si l'on voit une baleine dans la clarté des premiers rayons de soleil du matin, on voyagera heureux dans les mois à venir. Et si je restais ?


Sam. - Juin 4, 2005          



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