Attention travaux !
Des bouquins, à la
maison, j'en ai partout. Au salon, dans un meuble de bibliothèque
prévue à cet effet (un vrai de vrai, venant de l'ancienne
médiathèque, avec l'échelle coulissante), dans les chambres en de
savantes piles équilibristes, dans l'entrée qui est une sorte de gare
de triage avec les emprunts que je dois rendre, les nouveaux que je viens
d'acquérir, les trocs judicieux et les achats impulsifs. Les toilettes non
plus n'ont pas été épargnées par cette
invasion...
Seules la salle de bains et la
cuisine, endroits peu propices à une bonne conservation du papier, restent
pour le moment à l'abri de cette prolifération endémique. Pour ma
défense, je plaiderais l'attachement sentimental que je peux avoir pour
l'odeur si particulière d'une couverture cartonnée ou le crissement
subtil d'une page que l'on tourne et les contenus qui occupent mon temps libre
et mes quelques nuits insomniaques. Hier matin pourtant, après m'être
éclaté sauvagement un orteil en sortant de la chambre sur un
assortiment dépareillé d'une Encyclopédie Universalis de 1974,
date de la première parution, j'ai décidé de mettre de l'ordre
dans mon capharnaüm livresque. Deux heures après m'être
égaré à tenter de construire un fauteuil avec tous les volumes
épars, une évidence s'est imposée il me fallait des
étagères supplémentaires ! Dans une folie passagère pour le
moins audacieuse, je me suis souvenu de magnifiques planches en iroko que je
devais récupérer depuis fort longtemps chez une amie, en remerciements
de l'avoir aidé à déménager ses innombrables pesants cartons
d'ouvrages en tous genres (en fait, nous faisons parti d'une secte papivore :
les rats de bibliothèque). Deux rues plus loin, les épaules
harassées par le poids abominable de ce bois précieux, j'achetais des
équerres pour suspendre mes précieux tomes assassins. Après une
lutte sans merci d'une demi-journée entre les planches, le mur et les
équerres, vers 14 H je pouvais contempler mon chef d'oeuvre : quatre
magnifiques nouvelles étagères qui allaient absorbé le surplus de
bouquins qui traînaient partout et ne m'empêchaient plus de marcher
pied nu. Les doigts meurtris par un marteau sadique, j'ai d'ailleurs
imaginé un instant prévenir la presse ou la télévision
locale de cet exploit démesuré. Sauf que, pour un problème de
physique qui m'avait complètement échappé, la cloison
séparant le salon de la cuisine, s'est suicidé brutalement, en
s'effondrant bruyamment sous le poids d'au moins vingt kilos de brochures,
livrets et de la rebelle encyclopédie psychopathe, laissant deviner à
travers une fumée apocalyptique un trou énormmme où une personne
pouvait passer sans avoir à baisser la
tête.
D'après
mon assureur, retenant mal un fou rire des plus déplacés, les travaux
pour reconstruire le panneau à l'identique (trois mètres de large !)
allaient me coûter la modique somme de 350 euros, au minimum. À toute
fin utile, j'échangerais donc tous les ouvrages maudits contre la promesse
d'un nouveau mur propre et lisse. Je crois que dorénavant je ne vais plus
lire que des timbres, des affiches et des estampes, car il n'y a pas à ma
connaissance de cas déclaré d'écroulement mural à cause de
posters punaisés !