Les miniatures de l'art



En discutant avec une amie de passage en France et passionnée de peinture moderne, nous vint soudain l'envie de localiser, en vue d'une échappée culturelle, les oeuvres de Dufy.

Le plus simple, à mon sens, était de consulter les catalogues en ligne de grandes salles d'exposition, comme peuvent en abriter le Louvre, Beaubourg ou la fondation Cartier, pour n'en citer que quelques-uns. Quelques clicks googleiens plus tard, nous arrivons sur une page du musée d'Art Moderne de la ville de Paris ou là, stupéfaction, nous est proposé de voir le tableau "la fée électricité " mais au format timbre-poste ! Tout au plus peut-on doubler la taille de la reproduction avec une loupe virtuelle mise en dessous de l'imagette. Pour qui a eu la chance, comme moi, de se retrouver face à l'orignal, une huile sur contrecollé (et non contreplaqué comme le prétend la légende) d’un mètre de haut sur six mètres de long aux aplats et aux couleurs chatoyantes, le choc est rude.... Pensant jouer de malchance j'ai voulu vérifier si d'autres peintres que j'affectionne avaient été l'objet d'un égal traitement miniaturiste. Que ce soit Turner, Lichtenstein ou Picabia, qui font partis des artistes reconnus, tous hébergés dans des musées ou centres d'art internationaux, impossible d'avoir un aperçu de dimensions correctes. Je parle volontairement d'aperçu car une copie digitale de Orphée et Eurydice de Poussin, fut elle reproduite sur un moniteur géant, ne restituera jamais les mouvements picturaux des brosses et pinceaux et les émulsions de textures pour recréer la lumière. Le responsable ? le rendu synthétique de l'écran tout simplement.
La limitation la plus aberrante que j'ai pu voir est sur le site (au demeurant bien construit) de la Biennale de Lyon. Dans des pages de rétrospective de 1997 intitulées L'Autre, l'agrandissement des toiles est tout simplement impossible avec l'apparition d'une fenêtre arborant un vengeur Forbidden . Il n'est alors pas très facile d'apprécier la beauté picturale avec des représentations de 70x47 pixels. Si vraiment on ne souhaite pas montrer le travail des artistes (un nouveau concept élitaire digne des Précieuses Ridicules version conservateur borné ?) inutile de publier sur le net !

On peut s'interroger légitimement sur de tels procédés réducteurs. La richesse des collections, d'endroits comme le musée d'Orsay, de l'Orangerie (hélas fermé pour rénovation jusqu'à la fin 2005) ou de toutes autres structures de présentation d'expositions, serait bien mieux comprise et valorisée sans ces comportements restrictifs. Pour de frileuses histoires de droit on ne dispose pas de la possibilité de consulter des banques d'images dignes de ce nom. Faut-il rappeler que le patrimoine dont disposent le regroupement des 32 musées nationaux est public et que les droits de préhension et les acquisitions sont financé par l'état ? Les arguments de protection des oeuvres s'avèrent souvent le fruit de la paranoïa ambiante sur les droits d'auteurs. Si mamie décide de dupliquer les tournesols de Van Gogh sur son imprimante à 200 €, le résultat, même avec du papier photo glacé, sera épouvantable et au format A4. Qui connaît la complexité de reproduction fidèle des couleurs comprendra de quoi je parle. Un éditeur de livres d'art aussi remarquable que Skira, en partenariat avec des imprimeurs, dépense une énergie considérable en temps, hommes et matériel, pour que les subtilités tonales d'un crayonné de Chagall paraissent authentiques et le travail est, par la suite, graduellement décuplé avec les restitutions hexachromiques de pièces en couleur. La peinture à l'huile et les gouaches et aquarelles ne sont pas, au départ, des créations numériques et les classifications de couleurs comme celles de Pantone ou Folcotone sont inapplicables pour reproduire les effets d'un peintre hollandais du XVII ième siècle. La crainte d'impressions "pirates" n'en devient que plus dérisoire...

Il y aurait là une fantastique opportunité de développer ou créer, à faible coût, de solides banques d'images, aux critères bien définis, consultables dans un but pédagogique, culturel ou ludique. Ce sont les lectures graphiques d'oeuvres, sur papier ou sur écran, qui donnent envie de voir les originaux accrochés aux cimaises des salles pour ensuite acheter un beau livre de son peintre préféré. Tant pis pour les esprits chagrins et obtus qui pensent que les utilisateurs vont profiter de l'accès à des databases picturales pour se fabriquer des sets de table en papier à l'effigie de Pablo Picasso... Et quand bien même cela se produirait ! L'art doit il sommeiller dans des salons d'inauguration visités par des happy fews en représentation ?

Mar. - Juin 15, 2004          



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