United Colors of n'importe quoi



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Où la petite chronologie d'un sujet mal abouti.

En général, je rédige mes papiers en un seul jet, ce qui explique parfois les quelques grumeaux de style et fautes d'ortograf que l'on peut y trouver. Cette rapidité d'écriture me permet d'éviter une certaine volatilité du propos, car j'ai perdu un nombre incalculable de billets, juste parce que j'avais la plume flemmarde, le frigo à remplir ou que j'étais au WC (rayez la mention inutile, option alt+G ce grand poète).

Depuis l'été dernier, j'ai le projet d'élaborer (j'aurais dû me méfier : élaborer a un cousin qui s'appelle laborieux...) un article concernant l'utilisation de la langue française sur le Net. Et là, l'implacable malédiction des mots s'est abattue sur mon ordinateur ! D'abord par un constat pas très réjouissant : malgré 180 millions de personnes s'exprimant dans la langue de Molière sur notre chère planète bleue, force est de reconnaître que l'usage de nos beaux idiomes hexagonaux n'a d'autre utilité que de servir à transcrire des textes littéraires. Que ce soit du JavaScript, PHP ou C++, pour n'en citer que quelques-uns, aucun langage de programmation digne de ce nom n'est écrit à la base en français. Pas grave me suis-je dis, en allant à la bibliothèque pour me rassurer sur l'importance de la culture francophone, soyons magnanimes et laissons donc l'anglais régner sur la sphère du high-tech, il nous reste l'essentiel, le monde des arts, de la musique et des écrivains. Et là, deuxième mauvais effet kiss cool, même sur ce terrain que j'imaginais favorable, notre soi-disant exception culturelle se limite à la cartographie des pays pratiquant le français. Un simple exemple : quand je demande à des étudiants étrangers du campus universitaire, situé à proximité de mon domicile, de me citer des auteurs ou des musiciens francophones, aucun n'est capable de me donner d'autres noms que Sartre, Camus ou Edith Piaf. Tout au plus, les seuls noms d'artistes vivants connus sont Céline Dion et parfois Patricia Kaas. Exit donc notre littérature actuelle et musique d'aujourd'hui qui visiblement n'a pas réussi à arriver jusqu'aux écoles de l'Alliance Française qui parsèment le monde. Les élites intellectuelles françaises semblent vivre sur une sorte d’héritage confortable du Siècle des Lumières dont les derniers représentants actifs se situent, dans le meilleur des cas, au milieu des années soixante.

Les réactions étatiques, à ce qu'on pourrait appeler ironiquement la déception culturelle française, sont, en elles même, très révélatrices des méthodes quasi surréalistes pour tenter d'enrayer ce déclin : instauration d'un quota de chansons francophones pour les radios hexagonales, vaine et inutile tentative, par la loi dite Toubon, d'expurger de notre langue les mots ou expressions anglaises. Vingt ans après, n'en déplaise au mauvais ministre de la Culture que fut Jacques Toubon, alias Allgood pour ses détracteurs, et instigateur naïf et stupide de ce texte juridique abscons, seul le mot baladeur a réussi à remplacer le terme Walkman. Pour l'anecdote dans les propositions de remplacement de certains mots était apparu, à l'époque de la ratification de ce texte, le terme si élégant de machouilleur, devant se substituer au vocable chewing-gum !
Tout aussi illusoire et bureaucratique, le concept de francophonie n'a d'autre utilité que d'avoir salarié des personnes au sein d'une multitude d'organisations et de commissions, toutes plus inutiles les unes que les autres. Détail risible, mais révélateur, l'Algérie, dont une grande partie de sa population parle notre langue, ne figure pas dans la liste des états membres de la très artificielle Organisation Internationale de la Francophonie, sensée être représentative des pays de langue française ! On est presque dans la logique, heureusement non abouti, du ministère de la pensée, décrit et décrié par certains auteurs de science-fiction. C'est par l'aide à la création artistique que l'on pourrait développer l'envie de connaître la spécificité culturelle française et non pas avec des réglementations rigides et imbéciles !

Que l'on ne me fasse pas de procès d'intention sur les motifs du constat ci-dessus, je ne suis pas du tout un nostalgique nationaliste de la splendeur linguistique française : ma deuxième langue maternelle est l'anglais avec lequel je m'exprime, sans fausse modestie, avec une relative aisance et j'ai le souvenir merveilleux de la découverte et de la lecture jubilatoire d'écrivains américains comme Salinger, Norman Mailer ou Chester Himes. Je trouve juste un tantinet paranoïaque et inutile les propos alarmistes de certains francophones ou, autoproclamés comme tels, sur ce sujet hautement polémique. On mesure le rayonnement d'une civilisation par le biais de ses émanatations artistiques et, en l'occurrence, l'attribution de budgets toujours plus exponentiels aux ministères des l'armées ou de l'intérieur, au détriment de la chose dite culturelle, n'est pas de nature à favoriser la diffusion des arts et lettres. On a toujours beaucoup plus de mal à aimer une langue sous le joug d'un fusil.

Mar. - Novembre 30, 2004          



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